Entre clichés et originalité 
 
Rappelons à toutes fins utiles que le cliché est une « une idée ou une formule que l’on retrouve très souvent répétée dans les mêmes termes et qui est devenue banale, usée » (citation « etudes-litteraires.com »). Dans l'esprit d'un auteur en herbe, le cliché, c'est mal, et l'originalité, c'est bien. Donc tout écrivain qui se respecte veut (et même doit) être original. Cela permet de se démarquer de son collègue en affirmant son individualité créatrice, voire de se prévaloir d’un argument éditorial puis commercial. 
 
La fausse originalité 
Être original ne s'arrête pas à proposer le contraire d’un succès en librairie. L’un des travers par exemple d’une fausse bonne idée consiste à inventer un personnage aux antipodes du héros classique. Celui-ci devient alors faible, peureux, lâche, etc… Certes, le concept est original puisqu’il prend à contre-pied un cliché. Or ce type de personnage, d’essence passive, aura le tort de ne pas motiver l’action et de faire piétiner l’intrigue. 
L’anti-héros de Fantasy n’est pas l’antinomie du héros. Au contraire de lui, il ne combat pas le mal en incarnant le bien, il l’affronte également, sans savoir cependant dans quel camp il se situe lui-même, ni si son adversaire est effectivement maléfique. 
En somme, vous ne serez pas original en féminisant des elfes, car l’idée n’est pas des plus élaborées, et pas davantage en imaginant des orcs gentils ou des schtroumpfs verts. Créer de cette façon équivaut à appauvrir le matériau de base, à le dégrader, à n’en proposer qu’une pâle copie sans intérêt en espérant pourtant attirer l’attention. 
 
La quête impossible 
En réalité, et vous le remarquerez au fil de vos pérégrinations littéraires, la nouveauté n’existe plus vraiment. En tout cas, celle qui vous sauterait au visage comme un diablotin surgissant de sa boîte. De plus en plus de gens écrivent, créent, publient, et il apparaît aujourd’hui compliqué déjà de se démarquer, plus encore de trouver l’idée du siècle qui va révolutionner la Fantasy. 
Certains auteurs vous sembleront avoir marqué une rupture. En réalité, ils ajoutent leur pierre à un vaste édifice, ce qui les amène à émerger du lot, mais aussi, parfois, à ouvrir une nouvelle voie. Ainsi, Tolkien n’avait pas réellement conscience d’écrire de la Fantasy, il avait avant tout l’intention de raconter l’histoire des peuples parlant les langues qu’ils avaient inventées. 
 
L’originalité devenue clichée 
En son temps, la Dark Fantasy prenait le contrepied de la Fantasy traditionnelle à la Tolkien. Puis, au fil des récits, des clichés se sont imposés (comme l’usage de la neige), jusqu’à ce que ce sous-genre se nourrisse de ses propres archétypes. Il s’est alors construit en catégorie distincte puisqu’il était dès lors possible de dégager des particularités, des invariants. 
 
Le cliché stylistique 
Écrire un récit, concrétiser des idées, est un exercice personnel, propre à soi. Copier les autres, s’en inspirer, permet cependant d’acquérir une technique, puisque même le style est une affaire d’artisanat. 
Or l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous. Le cliché correspond à ces expressions prémâchées, à ces phrases vides et passe-partout, à ces métaphores maintes fois rabâchées. Pour les éviter, l’auteur devra s’attacher à faire dire quelque chose de précis à ses mots, qui amènent l’action ou l’idée à progresser. 
En écriture, l’originalité, si elle est parfois bienvenue, est un faux ami. Le but est d’être compréhensible, en Fantasy en tout cas. Inutile donc de se creuser la tête pour produire un style inédit, forcément plus difficile d’accès. Bref, quand vous racontez une histoire, mieux vaut être efficace que révolutionnaire. 
 
Le cliché pour gagner du temps 
Un cliché évite de tourner trop longuement autour du pot. Au fil du temps et des romans se sont imposées des figures stéréotypées, comme celle du vieux sage ou du jeune et beau héros. Il s'avère dès lors plus compliqué pour le lecteur d'appréhender un magicien de 25 ans aux manières inconséquentes. Il a besoin de repères, de se sentir en terrain connu. 
Le cinéma use et parfois abuse des personnages clichés. Cela évite au réalisateur de s’étendre sur la personnalité de chacun, parce que ce n’est pas son objectif, ou parce que les 1 h 30 de pellicule seraient vite épuisés. Dans un film, le héros doit être immédiatement identifiable comme tel par le spectateur, et l’antagoniste également. L’action doit se mettre rapidement en place, et personne n’a vraiment l’envie ni le temps de s’attarder. Cet impératif de durée explique pourquoi les adaptations de romans ou de bandes dessinées font l’impasse sur un certain nombre d’éléments, notamment psychologiques, et pourquoi le format en épisodes et en saisons s’avère préférable pour une série aussi riche que « Le Trône de Fer ». 
 
Une nécessaire cohérence 
Le lecteur achète un livre policier pour y lire la résolution d’un ou plusieurs meurtres. Il regarde un slasher (« sous-genre de film d’horreur, où un tueur psychopathe élimine un à un les personnages » - source Wiktionnaire) pour y voir des adolescents crétins se faire massacrer les uns après les autres par un fou furieux. En commençant une comédie romantique, nous savons pertinemment que le garçon un peu gauche finira en couple avec la jolie fille. Nous n’imaginons pas qu’il renonce ou que sa frustration débouche sur un carnage improvisé. 
À chaque genre ses clichés, qui ne sont pas la conséquence d’un défaut d’imagination mais répondent à des attentes. La qualité ne se situe pas dans l’originalité à tout prix mais dans la variation autour d’un cahier des charges, lequel assure la cohérence du récit par rapport à sa catégorie littéraire. 
 
Un univers personnel 
Pour ne pas sombrer dans le cliché sans se perdre dans une originalité factice, il suffit d’être fidèle à soi-même. Le rôle de l’artiste consiste à transcrire par le biais de personnalité le monde extérieur, voire de lui donner un sens. Si vous restez à l’intérieur de ces balises, vous porterez votre propre différence. Car rien n’est plus varié qu’une banale chaise appréhendée par des sensibilités diverses alors que la réalité la représentera toujours de la même façon. 
 
Conclusion 
Dans l’inconscient collectif, le cliché traduit un vide intellectuel. Et en définitive, l’originalité également dans la mesure où elle est censée se suffire à elle-même, où elle n’a d’autre finalité qu’elle-même. L’un et l’autre sont pourtant un gage de qualité, le cliché par la faculté de l’auteur à respecter certains codes, l’originalité par sa faculté à s’en affranchir grâce au truchement de son interprétation. 

Publié par Alexandre BORDZAKIAN le 14 mai 2018
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